… Quand j’entrai dans la chambre elle était immobile… J’eus le sentiment qu’elle sentait ma présence. Maman rassembla ses forces pour ouvrir les yeux et soudain, planta son regard dans le mien. Il ne me lâcha plus… D’une voix sourde, presque d’outre-tombe elle répéta : « Aïcha ! Aïcha ! ». Ce furent ses dernières paroles…
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… Aujourd’hui des images, des sensations, des odeurs ranimaient le passé. Depuis l’assassinat de mon père je m’appliquais à les repousser. Le drame avait chassé de ma mémoire les délices de l’enfance, enfouis, inaccessibles. Des fantômes sans visage les remplaçaient…
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… Ma vie prenait du sens, marquée par le rythme rassurant de la nature, l’évolution du raisin, le glougloutement des cuves. Porté par le souvenir de mon père, par celui de mes ancêtres, pionniers de 1848 qui avaient créé Novi, je voulais recommencer, construire, me battre. J’avais une revanche à prendre sur le malheur…
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… – Il n’y a pas que la violence. Il y a toute ton enfance… Aïcha…Jean-Jacques. Lui, il est même retourné à Novi. Et Kader… Après tout ce temps il a pensé à toi. Tu as lu sa lettre ?
– Non !
– J’aurais reçu une telle lettre François, je l’aurai dévorée…
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… La mort de ma mère, l’appel émouvant d’Aïcha, la réaction de mon grand-père, les efforts de Luc à la recherche de ses racines avaient changé la donne. Je pensai à mon prof de philo du lycée de Ben Aknoun qui dissertait sur la pauvreté de l’homme sans passé…
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… Un choc en pleine poitrine soudain, l’ocre rouge de la terre d’Algérie, couleur du sang qui colle avec elle, floquée de quelques taches de verdure; une autre plus sombre, dans un halo bleuté vers l’ouest, le Chenoua…
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…Aïcha me tendit ses mains, je les serrai dans les miennes. Nous nous enlaçâmes sans pouvoir parler; en l’embrassant je sentis ses épaules tressauter, ses larmes se mêler aux miennes…